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Communion II

 

 

 

 

 

 

L’Homme Nouveau, no 1353, 2 octobre 2005

 

Et si on reparlait de communion

La communion dans la main

Une dérive institutionnalisée

Alors que s’ouvre ce 2 octobre le Synode sur l’Eucharistie, le document préliminaire établit les bases de travail du Pape et des évêques. Parmi les déficits remarqués, la perte du sens du sacré due notamment à une mauvaise transmission de la communion.

             L’Instrumentum laboris en vue du Synode sur l’Eucharistie, loin de certains euphémismes officiels, constate sans fard la réalité actuelle : l’affaiblisse­ment des rapports de l’Eucharistie avec 1) le sacerdoce hiérarchique institué par Jésus-Christ, 2) la foi authentique, 3) la conscience morale des fidèles, 4) le sens missionnaire de 1a vie baptismale, 5) le sens du sacré. C’est dire l’enjeu du prochain synode – et Benoît XVI a demandé de prier, et faire prier, notamment les enfants – enjeu dont le Pape, in fine, est l’acteur décisif.

 

 Une concession faite aux pasteurs

             Le texte lie ces cinq déficits récurrents avec la célébration correcte du sacrement. À titre d’exemple : (n. 34) « lacunes et ombres (...), qui semblent avoir origine dans un sens affaibli du sacré à propos du sacrement. La sauvegarde de ce sens du sacré dépend fondamentalement de la conscience que l’Eucharistie est un don et un mystère, pour la mémoire de laquelle sont nécessaires des signes et des mots correspondant à la nature sacramentelle. Très souvent dans les répon­ses ... sont signalés des actes qui portent atteinte au sens du sacré. Par exemple : ... le consentement tacite dans l’élimination de certains gestes liturgiques parce que considé­rés comme trop traditionnels, tels que la génu­flexion devant le Très Saint Sacrement ; une distribution impropre de la communion dans la main, en dehors de toute catéchèse adé­quate ... (n. 40) parfois sont diffusées des déclarations contraires à la transsubstantiation et à la Présence réelle, comprise seule­ment en tant que symbole, et que certains comportements manifestent cette conviction de façon implicite. (...) certains agissent com­me animateurs devant attirer l’attention du public sur leur propre personne, plutôt qu’en serviteurs du Christ appelés à conduire les fidèles à s’unir à lui. Bien évidemment tout cela a une répercussion négative sur le peu­ple et risque ainsi de troubler sa compréhen­sion et sa foi dans la Présence réelle du Christ dans le sacrement. »

            Des propositions concrètes (révision des traductions) sont évoquées, plus sou­vent des « catéchèses » sont recomman­dées. La pratique en Occident s’écroule (n. 6-7) et la masse pratique quand ça lui chante : que pourront donc faire, sans rap­pels opératoires nets, de seules « catéchèses » ? Ce que pressent le n. 58: « Lorsque sont énoncées des orientations doctrinales ou des normes, il faut tenir compte d’un prin­cipe fondamental : tout comme une suréva­luation de la maturité des fidèles peut avoir contribué à créer des difficultés pratiques dans l’introduction de la réforme, de même il ne faut pas sous-estimer la psychologie populaire ou la capacité des fidèles d’accepter le rappel aux vérités fondamentales. »

            Pour répondre au souhait du n. 40, une catéchèse adéquate ne devrait-elle pas rap­peler que Paul VI dans Memoriale Domini (1969) a concédé et non pas promu la com­munion dans la main, sa volonté expresse étant de maintenir la seule loi traditionnel­le et apostolique, c’est-à-dire la commu­nion déposée dans la bouche. « Cette façon de déposer la communion doit être conservée, non seulement parce qu’elle a derrière elle une tradition multiséculaire, mais sur­tout parce qu’elle exprime la révérence des fidèles envers l’Eucharistie ... Aussi le Siège apostolique exhorte-t-il de façon véhémente les évêques, les prêtres et les fidèles à se sou­mettre diligemment à la loi en vigueur une fois encore confirmée (...) qu’il n’a pas paru opportun au Souverain Pontife de changer. »

            A la fin dé sa Lettre, Paul VI concède que des épiscopats puissent demander un in­dult en faveur de la com­munion dans la main dont le Pape jugera cas par cas. Ce que la Lettre pastorale accompagnant Memoriale Domini précise (n. 1284) : « Le Saint-Père accorde que cha­que évêque puisse (n’est pas équivalent à doive) autoriser (n’est pas équivalent à obli­ger) dans son diocèse l’introduction du nou­veau rite. » Ce que Mgr Laise commente : « Il reste à considérer le sujet de l’autorisa­tion, seul titulaire d’un droit subjectif : ce qui est concédé ici est l’autorisation de distribuer la communion d’une façon non prévue par la loi universelle, la personne autorisée est donc le ministre de l’Eucharistie » (Mgr Juan Rudolfo Laise, La Communion dans la main, Ciel, 1999, p. 74).

            Paul VI a clairement cherché à répondre à un abus et à une situation de faiblesse chez les pasteurs, comme il l’écrit à Mgr Bugnini,  le 29 mars 1969 : « … abus, déjà répandu dans certains pays et que les évêques ne croient pas pouvoir réprimer » (France, Benelux, RFA). La communion « moderne » n’est donc pas une autre manière de faire au libre choix du communiant, encore moins la manière normale, mais une concession, quelque peu contra­dictoire, faite aux pasteurs pour leur don­ner le temps de retrouver leur force de renseigner et remettre en vigueur la loi apostolique.

            On sait la suite : il est devenu habituel de penser que la manière de communier c’est « debout dans la main », la tradition étant un « reste d’intégrisme ». Ces 40 ans n’auraient-ils donc pas suffi pour appliquer l’indult, c’est-à-dire remettre en vigueur la norme sainte ? A Rome même, il est vrai, en 1999-2000, la jurisprudence de la Congrégation du Culte s’est subrepticement renversée en insinuant (Missel 2002, n. 161) que la manière de communier était au choix du communiant, et cela contre l’enseignement et la volonté publique des Papes. La licéité de cette rubrique équi­vaut à celle de la concession extraordinai­re des filles de cœur suite au Conseil pon­tifical d’interprétation des textes législatifs dont la note de 1992 faisait que « vir » (canon 230 § 2) désignait à la fois « sexe masculin et féminin » ! C’est crûment pro­mouvoir la contradiction avec les princi­pes apostoliques ... quitte à tonner contre 1’oubli du sacerdoce et de la Présence réel­le divine.

            Le n. 57 de l’Instrumentum laboris : « Si, d’un côté, les normes reconduisent au caractère apostolique de l’Eucharistie, de l’autre c’est surtout la sainteté de celle-ci qui exige de telles normes : il faut s’approcher du Très Saint Sacrement avec le plus grand respect. On peut dire que c’est pour cela que les prêtres sont consacrés », s’inspire de Jean-Paul II rappelant le principe apostolique véhiculé par la Tradition ecclésiale. C’est le prêtre « qui a le privilège de toucher les Saintes Espèces et de les distribuer de ses mains » (Dominicae Cenae).

            S’éclaire ainsi le n. 58 de l’Instrumentum : « Certaines réponses considèrent que le non-respect des normes est dû à des défauts présumés, intrinsèques à la Présentation générale du Missel romain, et elles mentionnent, par exemple, les traductions inadéquates des textes liturgiques et le manque de précision dans les rubriques… »

            « La chose la plus horrible dans notre monde aujourd’hui, c’est la communion dans la main » (Mère Teresa, 23 mars 1989, The Wanderer, Pakistan). Ce cri de la sainte mondialement connue par sa charité et sa lutte contre le « crime de l’avortement » est une remise en ordre : la manière de  communier n’est pas un acte disciplinaire, ­culturel, symbolique ou dogmatiquement abstrait mais touche au rapport intime qu’elle engendre peu à peu avec Dieu, au salus animarum. L’enjeu est pastoral au sens fort.

 

 Relativisme dans le Saint des Saints

             Et bien des pasteurs font de plus en plus le constat que l’habitude de communier dans la main engendre une dé-réalisation de la foi eucharistique et à travers elle aus­si de la foi en l’Incarnation du Verbe – sacramentellement renouvelée à l’autel – et peu à peu du sens même de Dieu. À for­ce de toucher la Présence réelle comme un objet humain comment croire qu’il est le tout autre, absolu, et qu’il ait pu se faire homme ? Comment ne pas finir par rédui­re le sacerdoce à un fonctionnariat et la messe à un « simple service d’assemblée » ?

            À force de traiter Dieu comme un objet humain on finit par remplacer l’adoration propre qui lui est due par un simple respect humain (et si grand soit ce dernier, il ne sera jamais du même ordre que la premiè­re) troquant au passage le rapport objectif à la Présence réelle contre une primauté du sentiment subjectif : c’est le relativisme dans le Saint des Saints. On ne peut pas s’étonner non plus des incohérences avec les exigences concrètes de la vie morale : la consécration n’agit pas dans le vide mais dans les « espèces » eucharistiques. Si on prend Dieu-fait-chair comme un objet mon­dain, on manipulera encore plus facilement les autres réalités matérielles de la créa­tion, à commencer par le corps humain. L’Église ne redressera pas l’agir moral notamment conjugal et bioéthique sans que d’abord la Présence réelle de Dieu dans l’Eucharistie soit traitée avec le rang qui lui est dû. La tradition apostolique est grai­ne de l’humilité toujours nécessaire, la façon dite moderne (en fait issue de la Réforme contre la foi ecclésiale) est graine d’orgueil toujours néfaste.

            Sens du sacré, foi au Verbe fait chair, rap­port au sacerdoce, cohérence morale, apostolat concret et non seulement virtuel, les cinq « déficits » pointés par l’Instru­mentum sont, entre autres mais particuliè­rement, liés à la manière de communier qui touche directement au rapport intime de l’âme unie au corps, avec Dieu présent aux espèces consacrées, rapport qui est le foyer intime d’où émane la qualité de grâ­ce ou pas des cinq points évoqués. En négligeant la distinction classique « sacra­mentum tantum » (le sacrement extérieur), « res et sacramentum » (toute la réalité du sacrement) et « res tantum » (la grâce agis­sant en fruits de vie), on s’est focalisé sur la validité et la dignité formelles des célé­brations, oubliant que le sacrement, fût-il reçu validement et honnêtement, ne pro­duit pas ipso facto ses fruits de vie dans le fidèle mais à proportion des dispositions intimes de son âme, lesquelles tant que nous sommes sur terre, sont aidées ou non et s’expriment par celles du corps. Ainsi, la logique normale de l’humilité comprend qu’on se mette (sauf handicap) à genoux devant la Présence réelle : seul antidote efficace à 1’orgueil de la « modernité ».

 

 Retrouver le sens du sacré

             La nécessité pour l’Église d’observer la Tradition apostolique ne vise pas à garan­tir une continuité temporelle avec les fon­dateurs d’une association mais à ce que chaque génération puisse vivre du legs fait par le Christ aux Douze, la protégeant ain­si de l’erreur et de l’illusion toujours renais­santes. « Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré, ne jetez pas vos perles devant les porcs, de crainte qu’ils ne les piétinent et se retournent contre vous pour vous déchi­rer » (Mt 7.6).

            On ne manipule pas impunément Dieu comme un objet. Inversement, et 1’éxpé­rience a été faite en divers endroits depuis plusieurs années, lorsque la pratique apos­tolique de la réception de 1a communion est rétablie (par exemple sous sa forme la plus parfaite, par intinction), après un enseignement clair et systématique et des étapes progressives (les solennités et fêtes, puis les temps privilégiés...) l’atmosphère intérieure des âmes retrouve les couleurs d’une vie chrétienne en bonne santé et l’ef­fort est récompensé comme seul notre Dieu sait le faire !

            Dans son premier message Benoît XVI dit : « l’Eucharistie sera également au cœur de la Journée mondiale de la jeunesse et du synode des évêques.. Nous demandons à tous d’intensifier ces mois à venir l’amour et la dévotion envers Jésus-Eucharistie en exprimant de façon décidée et claire la foi en la Présence réelle du Seigneur, par la solennité et la rectitude de sa célébration ». Chacun est donc invité à se demander où il en est, par rapport au sage rappel de Paul VI, de sa manière de recevoir le Très Saint Sacrement. Il est aussi invité à répon­dre à l’appel du Saint-Père dans son homé­lie du 24 avril : « Priez pour moi, afin que je ne me dérobe pas, par peur, devant les loups. Priez les uns pour les autres, pour que le Seigneur nous porte et que nous apprenions à nous porter les uns les autres. »

 Abbé Charles Tinotti

   

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RECEVOIR LE CHRIST AVEC HUMILITÉ

Une idée répandue fait remonter la communion dans la main au début du christianisme. Or, l’étude historique démontre qu’il ne s’agissait que d’exceptions.

             L’idée que la communion dans la main fut une pratique universelle graduellement supplantée par cel­le sur la langue vers le IXe siècle est devenue commune. Pourtant, l’examen rigoureux des documents ne conduit pas du tout à cette conclusion (1) ! Déjà saint Léon (Ve s.) témoigne de la pratique tradi­tionnelle. Commentant l’évangile de saint Jean (ch. 6), il cite la communion dans la bouche comme un usage courant : « On reçoit dans la bouche ce que l’on croit par la foi. » (2). Le Pape ne parle pas comme s’il s’agissait d’une nouveauté, mais d’un fait normal. 150 ans après, donc 300 ans avant sa soi-disant introduction, le Pape saint Grégoire le Grand témoigne aussi de cette manière normale de donner la communion (Dialogues Rom 3, c.3). Jean le Diacre rap­porte également la manière dont ce Pape distribuait la communion. Comment peut­-on encore affirmer que la communion dans la main était la pratique officielle jusqu’au Xe siècle ?

            Il est certes arrivé que les fidèles reçoi­vent la communion dans la main et l’étude de ces cas confirme la règle vécue dès l’origine mais explicitée peu à peu dans le temps. Les promoteurs de la communion dans la main, qui ne citent jamais les témoi­gnages précédents, font un grand usage du texte attribué à saint Cyrille de Jérusalem (IVe s.), contemporain de saint Basile (Catéch. Mystagogique 5, 19-23). Henri Leclerq résume : « Saint Cyrille de Jéru­salem recommandait aux fidèles qu’en se présentant pour recevoir la communion, ils devraient avoir la main droite tendue, les doigts joints, soutenus par la main gauche, la paume légèrement concave ; et au moment où le Corps du Christ serait déposé dans sa main, le communiant dirait : Amen. » Et le texte poursuit: « Sanctifiez votre œil par le contact avec le Corps Sacré (...) Alors que vos lèvres sont encore humides touchez vos lèvres et passez votre main sur vos yeux ; votre front et vos autres sens pour les sanc­tifier. » L’ennui est que l’authenticité du texte est plus que controversée : « Si aujourd’hui on s’accorde pour admettre celle des Conférences prébaptismales, on conteste par contre celle des Catéchèses Mystagogiques (…) l’attribution des confé­rences mystagogiques à Jean dans un des codices et conjointement à Jean et Cyrille dans trois autres pourrait signifier qu’elles furent préparées et prononcées une premiè­re fois par Cyrille mais révisées plus tard par son successeur Jean », écrit Quasten (3). Une interpolation du texte – chose  courante dans le monde grec – par le suc­cesseur du saint, Jean, dont l’orthodoxie et les procédés étaient notoirement sus­pects (cf. Correspondance Épiphane/Jérôme/Augustin) semble très probable. Une même disposition des mains droite et gauche se trouve aussi dans une homélie de Théodore de Mopsueste, dont l’ortho­doxie n’est pas évidente, et une autre de saint Jean Chrysostome. C’est tout pour l’Antiquité, et c’est maigre. On notera que si ces textes parlent de déposer l’hostie consacrée sur la main droite soutenue par la gauche comme par un trône, aucun ne dit qu’ensuite on se communiait de la main gauche, chose d’ailleurs difficilement concevable dans la mentalité antique : « gauche » = « senestre, sinistre » ! Il ne serait pas impossible que le fidèle aspire ensuite avec la langue le Saint Sacrement pour ne pas le toucher, comme le firent les prêtres latins au XIVe siècle.

            L’article « Communion du Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie », précise que « la paix de Constantin mit un terme à la communion dans la main ». De fait cette pratique va persister çà et là, que les autorités de l’Église, ayant enfin recou­vré leur liberté d’action, vont extirper peu à peu, y voyant un abus contraire à la cou­tume dès Apôtres.

            Lors des persécutions, les fidèles empor­taient chez eux le Saint Sacrement et se donnaient à eux-mêmes la communion, plutôt que d’être totalement privés de l’Eucharistie. De même les moines du désert qui n’avaient ni prêtre ni diacre. Saint Basile (330-379), contemporain de saint Cyrille de Jérusalem, dans sa Lettre 93 exhortant à la communion fréquente, dit au passage que recevoir la communion de ses propres mains dans le cas de ces moines ou des persécutions n’est pas une faute, laissant entendre qu’en d’autres cas, c’en serait une.

            Cette réaction n’est pas propre à l’Orient­ ou à Rome : le Concile de Rouen (650) déclare : « Ne mettez pas l’Eucharistie dans les mains d’un laïc ou d’une laïque, mais seulement dans leur bouche ». Et le Concile dit in Trullo interdit aux fidèles de se « don­ner à eux-mêmes la communion » (ce qui est le cas lorsque l’Eucharistie est placée dans la main du communiant, qui ensuite la met dans sa bouche). Et il décrétait une excommunication d’une semaine pour ceux qui feraient cela « en présence d’un évêque, d’un prêtre ou d’un diacre ».

            Ainsi se dégage la norme pratique sous-­jacente : on ne peut toucher l’hostie que dans des cas d’extrême nécessité. Et le principe de foi apostolique : la distribution du sacrement revient en propre au minis­tre ordonné, norme et principe défendus par Paul VI et ses successeurs.

            La Réforme protestante anti-sacerdotale est si prégnante à notre modernité que bien des catholiques jugent « cléricale » l’inter­diction faite aux laïcs de toucher l’hostie consacrée comme les prêtres. Le texte de Martin Bucer (voir plus bas) montre bien le rap­port réel entre la foi professée et la pratique vécue – et en l’occurrence pour atta­quer la première. De même, 40 ans après Memoriale Domini, l’Instrumentum laboris du synode sur l’Eucharistie constate corrélativement la perte de foi dans l’Eucharistie et l’incompréhension du sacerdoce minis­tériel, corrélation évidemment liée à la pra­tique de l’administration du sacrement.

            Il faut ici rappeler que les prêtres ne tou­chent le Saint Sacrement que par nécessité et non par privilège personnel (4) : il faut bien que quelqu’un distribue le Pain de Vie et c’est le rôle propre du sacerdoce qui a été justement institué par Jésus-Christ pour se consacrer aux « choses saintes » ; ce n’est pas le rôle de chaque homme, fem­me ou enfant de se faire son propre « minis­tre eucharistique », sauf nécessité absolue. En dehors du célébrant, personne ne doit se communier lui-même : ainsi a fait Jean­-Paul II recevant à genoux malgré sa ma­ladie, la communion sur la langue, du futur Benoît XVI aux Rameaux 2005.

            Le concile de Trente (sess. 13 c. 8) résume admirablement le principe apostolique qui fonde le maintien de la pratique dite traditionnelle par Paul VI dans Memoriale Domini : « En ce qui concerne la réception du sacrement, il a toujours été la coutume de l’Église de Dieu que des laïcs devraient recevoir la communion des prêtres ; mais que les prêtres, lorsqu’ils célèbrent, devraient se communier eux-mêmes, laquelle coutume doit être gardée avec justice et rai­son comme descendant de la tradition des Apôtres. »  Ce Concile s’étant contraint à pousser loin ses études critiques face aux attaques protestantes, (5) les mots « tradition des apôtres » ne peuvent être mini­misés. Et avec justesse, Paul VI indiquera la disposition spirituelle essentielle face à l’Eucharistie, que protège cette tradition apostolique, qu’on soit prêtre ou fidèle, et qui se réalise le mieux dans la communion « traditionnelle » : l’humilité, au sens de vertu objective et non de sentiment sub­jectif (Memoriale Domini, n.1276.§ 7).

Abbé Charles Tinotti

(1) Jungmann est en bonne part à l’origine de cette vul­gate. Son immense travail affirme mais ne démontre pas que la communion « traditionnelle »serait non d’origine apostolique mais postérieure au IVe. Quand il commente saint Basile, il projette curieusement sur lui l’anachronisme d’une psychologie moderne en 1950, l’accusant d’employer un langage fait pour inspirer la terreur, lui faisant partager ainsi qu’à Chrysostome,les sen­timents de terreur et de crainte envers le Sacrement qui étaient ceux des Monophysites ! (La liturgie des premiers siècles, Cerf, 1962, pp. 304-305).

(2) «Hoc enim ore sumitur quod fide creditur. » Serm. 91,3.

(3) Initiation aux Pères de l’Église III, Cerf, 1987, pp. 512-515.

(4) Au XIVe, beaucoup de prêtres allaient même jusqu’à communier en prenant l’hostie consacrée directement sur la patène avec la langue comme le rapportent saint Bonaventure et divers missels du XIVe (cf. Righetti, His­toria de la Liturgia, Madrid, 1955, t. 2, p. 459).

(5) Rohrbacher, Histoire universelle de l’Église ca­tholique, LXXXV §3.

 

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Un témoignage de Marthe Robin :

le « ministre » de la sainte communion 

            « J’ai eu la joie de bien connaître le chanoine Joseph Courquin, décédé le 21 octobre 1971 dans sa 85e année, étant aumônier du monastère de la Visitation à Boulogne-sur-Mer pendant de nombreuses années. Il était le conseiller et le confesseur de nombreux prêtres et aussi de pieuses personnes. Il a été à l’origine du Foyer de Charité de Courset (62), car il connaissait Marthe Robin de longue date et était un habitué de Châteauneuf-de-Galaure. (…) Lorsque les sœurs du monastère de la Visitation, poussées par quelques prêtres, ont manifesté le désir de recevoir la communion dans la main, ce digne prêtre sentit un problème de conscience. Il était partagé entre le désir d’être un fils obéissant de l’Église et le respect dû au Saint Sacrement. Alors, il alla voir Marthe Robin pour lui dire son problème de conscience. Elle, d’habitude si patiente, si miséricordieuse, et de plus affaiblie par un état de santé laissant à désirer, lui répondit avec une force et une rapidité qui étonnèrent notre bon chanoine : « Elles n’ont pas les mains consacrées, continuez comme auparavant. » Ce qu’il fit jusqu’à sa mort. En racontant cet événement, il me disait qu’il avait reçu non seulement une réponse, mais aussi la force de l’accomplir. »

 Un religieux

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MIS DEVANT LES FAITS 

Cardinal A. Stickler

            « Les gens disent que les Pa­pes n’ont pas été obligés d’au­toriser la communion dans la main. Je peux vous raconter un souvenir qui prouve le contrai­re. Parlant un jour avec le car­dinal Benno Gut, qui était à l’époque le préfet de la Congrégation des Rites, je lui ai dit combien j’étais déçu par la fa­çon dont, en pratique, le décret du concile avait été transformé par les artisans de la réforme.

            J’étais moi-même expert du concile pour la Commission liturgique, c’est pourquoi je savais très bien quelle avait été l’intention des Pères et je connaissais très bien la teneur de ce décret. En voyant la contradiction entre le décret et la reforme – en réalité, non pas me réforme mais une véritable destruction – j’ai exprimé ma déception au cardinal Gut qui, au bout d’une demi-heure, m’a dit : « Père, je suis entièrement d’accord avec vous, mais nous n’avons eu aucun pouvoir dans l’élaboration de la reforme, car la Commission ne dépendait que du Pape. La Congrégation n’a pas été consultée. »

            (...) Le cardinal Gut m’a éga­lement dit : « Un jour, je suis allé voir le Pape (Paul VI) et, m’agenouillant devant lui, je lui ai dit : ‘Saint-Père, n’autorisez pas la communion dans la main parce que ce sera l’occasion, et même la cause, de très nom­breuses violations du caractère sacré du Saint Sacrement.’ Et le pape ma répondu : ‘Calmez­-vous, calmez-vous, je ne l’auto­riserai jamais’. » Trois mois plus tard, il l’autorisait. Pourquoi ? Parce que les représentants des conférences épiscopales avaient insisté, dans la mesure où elles I’avaient déjà introdui­te. L’abolir de nouveau aurait été aller à l’encontre de leur initiative. Et c’est ainsi qu’elles ont forcé la main du Pape, et le Pape en a donne la responsabilité aux évêques... Ainsi, dans ce cas, le Pape a été, en réali­té, contraint d’accorder cette concession parce que c’était un fait déjà établi par la désobéissance antérieure.

            Je remarque que, dans les pays dans lesquels la commu­nion est donnée presque exclu­sivement dans la main, même aux enfants, immédiatement les gens manifestent qu’ils ne sont absolument pas conscients de ce qu’ils tiennent dans la main. Ils vont même jusqu’à plaisanter. C’est très inqui6tant. Il nous faut prier pour faire changer cette pratique abusi­ve.

            Mais vous savez peut-être que le Pape Jean-Paul II était opposé à la communion dans la main. Il a refusé de donner la communion dans la main à la femme du président Giscard d’Estaing ; en France, il a dis­tribué la communion sur la lan­gue à tout le monde. Lorsqu’il est venu en Allemagne, le Pape, la encore, n’a donné la commu­nion que sur la langue. Alors les évêques ont dit : Pourquoi refu­sez-vous vous-même de la don­ner dans la main ? Votre prédécesseur, Paul VI, l’autorisait. Pourquoi la refusez-vous main­tenant ? Aussi a-t-il fini par céder. Mais il nous faut prier pour que Dieu éclaire les évêques et aussi tous les autres pour que cette pratique soit abolie car, dans de nombreux cas, elle est indubitablement un motif de non adoration ».

Extrait de Témoignages d’un expert au Concile, Alfons Stickler, CIEL, 1999, pp. 24-25.

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Mgr J. R. LAISE

            « Saint-Père, que pensez-­vous de la communion dans la main ? Et le pape (Jean-Paul II) répondit : « Une lettre aposto­lique a été écrite, qui prévoit que, pour cela, il faut une auto­risation spéciale valide. Mais je vous dis que je ne suis pas en faveur de cette pratique, et que je ne la recommande pas non plus. Cette autorisation a été accordée en raison de l’insis­tance particulière de quelques évêques diocésains »

            Nous avons consulté les autorités de rite oriental présentes dans notre pays (aussi bien celles qui sont en communion avec Rome que les autres) et il apparaît que, dans tous ces rites, depuis des temps immémoriaux, la communion se fait dans la bouche et sous les deux espèces. Plus encore, dans le rite byzantin, lorsqu’il donne la communion, le prêtre ne touche pas le corps du Christ avec ses mains puisqu’il distribue la communion  au moyen d’une cuillère dorée ; et, d’après Righetti (Madrid 1955, t. 2) la communion dans la bouche était déjà très répandue chez les Grecs dès le début du IVe  siècle.

            Et à l’occasion de la consultation faite auprès des évêques latins, les Éthiopiens catholiques firent connaître leur opinion : « Chez nous, les prêtres et tous les membres du clergé reçoivent la communion dans la main à l’intérieur du sanctuaire (presbyterium) ; tous les autres dans la bouche, en dehors du sanctuaire ; nous ne vouons pas modifier cet usage » (A. Bugnini, La riforma liturgica, 1948-1975, Rome 1983, p. 637). Enfin, nous n’avons eu connaissance d’aucun rite oriental dans lequel serait pratiquée la communion dans la main. »

Extrait de La Communion dans la main, de Mgr Juan Rudolfo Laise, CIEL, 1999, p. 94.

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Le point de vue anglican

ATTAQUE EN RÈGLE

Marin Bucer, né en 1491 à Schlesttstadt (Alsace), entre à 15 ans chez les Dominicains. Vers 1520, il rejoint la Réforme luthérienne. Après avoir essayé de restaurer l’unité entre les chrétiens et notamment parmi les protestants, il s’installe en Angleterre et écrit son ouvrage De Regno Christi.  

               « Il est indubitable que l’usage qui consiste à ne pas déposer ces sacrements dans la main des fidèles est dû à deux superstitions : en premier lieu, l’hommage faux qu’ils prétendent rendre à ce sacrement et, en second lieu, l’arrogance perverse des prêtres qui prétendent avoir une plus grande sainteté que le Peuple du Christ, à cause de l’onction de la consécration.

            Certes, le Seigneur a remis ses symboles sacrés aux apôtres dans la main et personne ayant lu les écrits des anciens ne peut douter que tel était l’usage des Églises jusqu’à l’avènement de la tyrannie de l’Antichrist romain.

            Et puisque l’on doit détester tout superstition de l’Antichrist romain et reprendre la simplicité du Christ, des apôtres et du clergé, que chacun enseigne qu’il est superstitieux et malicieux de penser que les mains de ceux qui croient réellement au Christ sont moins pures que leur bouche, ou que les mains des ministres sont plus saintes que les mains des laïcs, de telle sorte qu’il serait mal, ou moins correct – que les laïcs reçussent ce sacrement dans la main. Je voudrais par conséquent que soient éliminées les manifestations de cette croyance perverse, à savoir que les ministres puissent toucher les sacrement mais qu’ils interdisent aux laïcs de le faire, en leur donnant le sacrement dans la bouche, ce qui non seulement est étranger à ce qui a été institué par le Seigneur, mais qui est de plus offensant vis-à-vis de la raison humaine.

            De la sorte, les bonnes gens seront ainsi facilement conduites à recevoir les symboles sacrés dans la main, l’uniformité se maintiendra, et des mesures seront prises pour éviter toute forme de profanation du Saint Sacrement.

            Bien que l’on puisse accorder – pendant un temps – des concessions à ceux dont la foi est faible en leur donnant la liberté de recevoir le sacrement dans la bouche s’Ils le désirent, si ceux-ci sont instruits avec précaution, ils pourront en peu de temps se mettre en consonance avec le reste de l’Église et recevront le sacrement dans la main. »

Augustinius

Avec l'accord précieux de son auteur notre Ami Augustinius

 

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

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