Aimer,Aimer

 

 

 

 

Aimer, Aimer

 

 

 

Saint Luc et Saint Matthieu rapportent tous les deux une parole de Notre Seigneur que chaque chrétien se doit de connaître :

Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit, et ton proche comme toi-même. (Lc 10,27) Il lui dit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. (Mt 22,37)

Puisque Saint Matthieu ne mentionne pas de toutes tes forces, faut-il en déduire que la parole du Christ n'a pas le même sens dans la main de ces deux auteurs ? Ou peut-on affirmer, au contraire, que cela n'a pas de conséquence sur la compréhension de cette divine parole ?

A première vue, ces deux versets semblent identiques, du moins les deux auteurs sacrés s'inspirent d'une même source écrite ou de plusieurs sources orales issues d'une même source orale. Il n'est pas question ici de penser que l'un des deux auteurs a fait erreur en déformant partiellement une parole du Christ ou que Jésus aurait exprimé une même pensée selon deux modes différents quoi que, comme on va le voir, les deux versets donnent chacun un angle de compréhension particulier à un seul et unique objet : l'amour véritable.

Saint Luc est d'origine grecque tandis que Saint Matthieu est d'origine hébraïque. Cette remarque est essentielle parce qu'elle permet de comprendre les différences de sens d'une même parole, sachant que le premier auteur a écrit pour les Grecs (les Gentils) et que le second, pour les Juifs. Les Grecs n'ont pas la connaissance de l'Ancien Testament, alors que cette même connaissance fait partie intégrante de la foi et de la vie du Juif. Le Grec qui découvre la vraie foi, celle en Jésus-Christ, n'a pas la connaissance des enseignements prophétiques et rabbiniques. A l'opposé, le Juif est supposé connaître la loi et l'appliquer, même si cette appliquation n'est que partiellement parfaite comme l'a montré à maintes reprises Jésus.

Saint Luc, disciple de Saint Paul, s'adresse à un peuple idolâtre, adorant plusieurs dieux, c'est-à-dire que l'amour pour le divin n'est ni unique - il y a plusieurs dieux - ni unifié - cet amour varie selon les désirs du Grec et les dieux adorés. L'auteur, enseignant l'existence d'un Dieu unique surpassant infiniment les faux dieux grecs, révèle en même temps que l'amour de l'homme envers Dieu n'a plus de raison d'être divisé ou partiel. Puisque Dieu est unique, l'homme se doit d'être tout entier, unique, dans l'expression de son amour pour Dieu. Ce n'est plus une partie de l'homme qui aime une partie du divin et une autre partie de l'homme qui aime une autre partie du divin : c'est l'homme tout entier qui aime le Dieu unique.

D'autre part, la foi chrétienne montre que l'amour dû à Dieu doit être supérieur à la somme des amours données par les Grecs à leurs dieux. Cela n'est certes pas possible par ses propres forces et c'est pour cela que l'Amour de Dieu pour l'homme va le secourir le rendant ainsi capable d'une telle force d'amour envers son Créateur, amour bien plus élevé, plus profond et plus vrai que l'amour porté aux anciennes idoles.

Que nous dit Saint Luc : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit, et ton proche comme toi-même.

Il y a une manière d'aimer Dieu qui plaît à Dieu. Le Grec aimait ses dieux par intérêt, il partait de son intelligence vivant en son esprit, afin d'atteindre l'expression de sa joie et sa propre satisfaction qui proviennent du coeur.

Là, c'est dans l'autre sens qu'il faut aimer véritablement Dieu :

de tout ton coeur = c'est aimer d'un amour sincère et durable,

de toute ton âme = de toute la grandeur de l'âme,

de toutes tes forces = de toute la personne, usant des forces spirituelles, morales et physiques

de tout ton esprit = de toute l'intelligence

Saint Luc part du coeur pour atteindre l'intelligence montrant que l'amour sincère et profond révèle à l'intelligence la vérité en la personne du Christ. L'amour que le Grec connaît déjà est appelé à être plus élevé, plus profond, plus fort afin que cet amour élève l'être tout entier dans une union parfaite d'amour avec Dieu, à l'image du Fils de Dieu, dont l'Amour divin unit parfaitement la divinité et l'humanité. Ce chemin de vie et d'amour est une nouveauté pour les Grecs.
Que nous propose maintenant l'autre auteur évangélique :

Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.

Saint Matthieu exprime la parole de Notre Seigneur sur un autre plan. Son récit fut écrit après l'Ascension et l'Esprit-Saint l'a fait mûrir, non comme homme, mais comme enfant de Dieu grandissant dans la connaissance et la perfection de Dieu, c'est-à-dire, dans la connaissance de la loi transcendée par la grâce du Christ.

Les mots employés ici sont les mêmes que ceux employés par Saint Luc mais leur définition est différente, elle est celle qui existe déjà dans l'Ancien Testament : coeur = lieu de l'intelligence ou l'esprit (et non pas l'organe ou le lieu des émotions), âme = lieu de la science et de la raison, esprit = lieu de la sagesse (et non pas le lieu de la réflexion)

Nous avons les trois vertus intellectuelles citées dans un ordre de supériorité croissant. Le chemin de foi doit conduire à la sagesse, celle enseignée et révélée par Dieu dans l'Ancien Testament et magnifiée dans la doctrine du Christ. Ces vertus sont surnaturalisées par l'action des dons de l'Esprit-Saint. Saint Matthieu connaît les vertus cardinales (Sg 8,7), inférieures en dignité et en perfection aux vertus intellectuelles citées ici.

Non pas que les dernières remplacent les cardinales, mais les cardinales sont un tremplin vers les trois vertus citées, elles-mêmes contribuant, avec les vertus théologales à surnaturaliser les vertus cardinales. Ici, l'Apôtre, en rappelant la parole de Notre Seigneur, invite le lecteur à aller au-delà de ce que peut sa propre nature, non par ses propres forces, mais en se laissant transformer par la grâce du Christ. La foi ne consiste plus à éventuellement à aimer Dieu comme un homme aime parfaitement un homme, mais à aimer au-delà de ce simple amour humain. C'est d'ailleurs ce que nous retrouvons dans le triple pardon de Jésus envers Saint Pierre.

Conclusion

Les deux versets ne sont pas contradictoires. Ils sont en réalité deux vues différentes d'une même réalité : parfaire l'homme en vue d'un bien surnaturel, le vrai Dieu incarné, Jésus-Christ, qui nous invite à le suivre jusqu'au bout, en ne cherchant plus à vivre seulement pour profiter de la vie mais à lui donner un sens plus élevé en vue du bien céleste. Et seul l'amour véritable et total est la porte vers l'obtention du bien céleste.

 

Extrait de l'Imitation de Jésus-Christ (Livre III, chap. LIX)

Quand on a tout parcouru, tout entendu, tout vu, il faut en revenir à cette parole qui renferme toute sagesse et toute perfection : DIEU SEUL.

"Considérez, disait un humble religieux de saint François d'Assise, des mille millions de créatures plus parfaites que celles qui sont à présent, tant dans les voies de la sagesse que dans les voies de la grâce. Réitérez à l'infini votre multiplication, et comparez ensuite ces créatures si parfaites au grand Dieu des éternités; dans cette vue, elles deviennent à rien.

Je prenais, ajoutait-il, un grand plaisir dans cette multiplication; et de voir qu'en même temps que l'Etre de Dieu paraissait, ces créatures qui se montraient si excellentes et si pleines de gloire se retiraient d'une rapidité incroyable dans leur centre, qui est le néant. Et voyant que le grand Dieu était en moi, et plus en moi que je n'y étais moi-même, j'en ressentais une joie inexplicable, et je ne pouvais comprendre comment il était possible d'avoir Dieu en soi et partout au dehors de soi, et de s'occuper des créatures. J'étais ravi qu'il fut seul éternel, seul immuable, seul infini, et je vous dis en vérité, qu'en disant : En mon Dieu tout est Dieu, ma volonté était touchée d'un si grand et si ardent amour, qu'il me semblait que tout l'être créé disparaissait devant moi, et qu'à jamais je ne serais plus occupé que de Dieu seul. Je ne puis expliquer l'infinie jubilation de mon coeur à la vue de ses immenses perfections; mais voyant ses grandeurs incompréhensibles, et, d'autre part, mon néant avec toutes les misères qui l'accompagnent, j'allais de l'infini à l'infini, et je me trouvais incapable, de l'infini à l'infini, de l'aimer comme je l'aurais voulu, ce qui me faisait souffrir inénarrablement; car plus je me trouvais impuissant à l'aimer d'un amour réciproque, plus un secret amour me dévorait intérieurement. Alors j'allais cherchant des secrets dans ma bassesse, comme navré et enivré d'amour, ne connaissant pas ce que je faisais, et, chose étrange, dans ce travail d'âme, ces saillies de l'infini en perfection à l'infini de ma bassesse m'étaient autant de feux d'amour qui me consumaient de leurs ardeurs !" ("L'homme intérieur", ou la Vie du vénérable père Jean Chrysostome, religieux pénitent du tiers-ordre de Saint-François, p. 153, 175-176)

 

Augustinius

Avec l'accord précieux de son auteur notre Ami Augustinius

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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